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André Dandé

- Epopée Forestière

- Belle Prise

 BELLE PRISE                            

       Belle prise...

... de bec? Non !

De tabac? Que nenni ! De judo, de sang, de conscience, de parole, de terre ou de tête ?

Non, rien de tout cela. Disons que dans son genre, il s'agit en quelque sorte d'une récidive ou d'un exploit (c'est selon) que l'Yves et l'André commirent sous une forme différente en d'autres temps et lieux - souvenez-vous.

C'était un jeudi, bien avant l'aurore, le même chemin voyait nos deux compères prendre la même direction mais avec dans leur soute des armes  Ô combien singulières et hétéroclites. Quoique... chausses, suroîts,hanaps et amphores  se voulaient à peu près identiques, mais déjà le "fortifiant" s'était-il bonifié et le carrosse avait-il une autre et fière allure. Des chevaux superbes avec rétroviseurs rétractables et pilote automatique; des fers aux suspensions hydrauliques prêts à affronter les terrains les plus difficiles; des garde-fous ne craignant pas ravins et coupe-gorge; enfin un carburant de premier choix tant pour les bêtes de somme que pour les voyageurs.

Quant aux armes, rets et filins d'acier étaient de rigueur. Ajoutez à cela treuils et moulinets, baudriers et harnais, gaffes et salabres, sièges de combat, leurres et sondes et un faucon pèlerin en guise de GPS, vous comprendrez qu'il n'était plus question de chasse (aux champignons) mais bien de pêche au gros.

Les voilà donc sur la route vers des cieux prometteurs où tous les espoirs leur étaient permis, comme à l'accoutumée... au moment du départ. Trop de déceptions auraient dû pourtant atténuer leur ardeur et cette propension maladive à imaginer l'inimaginable : un retour en fanfare, les malles trop petites pour y serrer les nombreuses prises et surtout LA prise, l'unique aux dimensions marseillaises et aux accents victorieux !... si habitués étaient-ils aux retours humiliants, amers et vexants.

Mais fi ! Qu'importe, tant qu'il y a de la vie... Temps calme, visibilité militaire cinq sur cinq, température de saison, pas de condensation sur le pare-brise ou expulsé du naseau des chevaux; trot malgré tout sensiblement accéléré frisant un galop retenu par souci de ne pas alerter une maréchaussée toujours possible. Heure du départ calculée pour une arrivée au petit jour sur les lieux du combat avant une prise de possession malencontreuse et intempestive du terrain par des éléments  incontrôlables, hobereaux d'extraction incertaine ou roturiers indésirables.

Huit heures cinq. Bingo ! La place est libre. Nous avançons illico notre diligence sous le feuillage, ou plutôt sur, d'un chêne ni vert, ni kermès ni chevelu, mais certainement de variété caduque le tapis à terre le confirme, et mettons les chevaux au repos. L'Yves et l'André dans un mouvement d'ensemble mettent pied à terre, referment les portes du fourgon, attrapent et chaussent leurs bottes.

Action numéro un : reconnaître le terrain, l'accessibilité, l'espace disponible pour une disposition judicieuse et cartésienne de notre matériel, rapidité du courant, profondeur des eaux... recherche et observation d'ennemis éventuels (rats musqués, cormorans).

Action numéro deux : débardage et montage des armes; puis disposition en ordre d'attaque à distances parallèles et équilatérales tous les dix mètres. L'Yves sort sa grosse artillerie avec trois sous-marins et une mine flottante, l'André installe trois torpilles entre deux eaux.

Action numéro trois : attendre.

Huit heure quarante-cinq : tout est paré; droits dans leurs bottes les deux vigiles s'arment de patience, un œil sur les flotteurs, un autre scrutant le ciel et les eaux, le troisième (je rappelle tout de même qu'ils sont deux, ils ont donc quatre yeux à leur disposition) sur l'épuisette : est-elle posée judicieusement, le quatrième au repos au chaud dans la poche. Là, il y a erreur semble-t-il, il s'agit plutôt des mains que l'inactivité engourdit. Pas de brise, mais un brouillard qui s'épaissit.

Neuf heures dix : un froufroutement mystérieux à l'origine imprécise mais perceptible sur la droite et qui s'amplifie tout en restant discret, qu'est-ce? Et soudain, jaillissant de la brume ouateuse, deux cygnes majestueux, du mouvement ample de leurs ailes, habillent un décor digne d'une estampe japonaise; la blancheur de leurs pennages  précédée le la courte flèche incarnate de leur bec s'incruste un instant dans le gris nébuleux de l'humide brume, et disparaissent aussi soudainement vers l'amont de la rivière, Castor et Pollux enfants de Léda, peut-être, en quête de leur mère... photo

Neuf heures vingt-cinq : à cinquante toises en aval deux poules d'eau se chamaillent et rompent le charme encore présent du tableau idyllique précédent; tout s'anime, un canard blanc (d'où sort-il : photo) bat des ailes sur la rive opposée, un héron traverse et se pose derrière les chênes près d'un trou d'eau à un quart de verste, une compagnie de cormorans (photo), avant-garde d'un contingent qui grossira en cours de journée, fond sur un saule déplumé qu'ils investissent sans autre forme de procès.

Et si nos bouchons se joignaient à la danse? Pensent tout bas nos deux matelots. Mais ils ont l'habitude, rien ne bouge, encore une journée à attendre au bord d'une eau calme qu'agite légèrement à la hauteur de nos terre-neuvas le filet d'un ruisseau né des dernières pluies, trop peu pour engendrer une écume d'où surgirait  une Aphrodite au corps diaphane et au regard hyalin,  et nue bien entendu pour respecter la légende, cela aurait distrait agréablement nos deux loups de mer ! Mais sans autre surprise ils plieront sagement leurs cannes à l'heure des Vêpres.

Dix heures cinq : une légère brise de courte durée soulève d'un quart de centimètre deux feuilles mortes inamovibles scotchées au sol par un taux hygrométrique avoisinant les cent pour cent.

Dix heures sept : ...a légèrement bougé un flotteur, le troisième en partant de la droite et propriété de l'Yves. Légèrement, c'est peu dire, en fait il s'est déplacé subitement d'un bon mètre le long de la berge tout en se maintenant en surface. Ce n'est pas le courant, peu violent, qui file dans l'autre sens. Une "touche"?... Attente, scepticisme, on en a vu d'autres... trop peu pour émouvoir le patron pêcheur. Et puis, une minute plus tard, récidive; dans les secondes qui suivent la bouée disparaît complètement. Enfin, serait-ce une vraie attaque? Un carnassier suicidaire aurait-il malencontreusement accroché l'hameçon qu'un pauvre leurre vivant (horriblement transpercé par l'ogre titulaire de la ligne numéro trois) tirait paisiblement en faisant des ronds dans l'eau comme la chèvre de monsieur Seguin au bout de sa corde?

Calmement le capitaine du bâtiment descend de quatre mètres et empoigne le bout du lancer qu'il soulève sans brusquerie tout en prenant garde de ne pas tendre, mais de le laisser filer, le câble : surtout ne pas alerter l'imprudent avant qu'il n'ait ingurgité suffisamment l'appât. Plus rien ne bouge et soudain un nouveau sursaut du flotteur. Yves, d'un mouvement digne d'un professionnel, tire et ferre subito presto : le saumon est pris au piège qui d'une ruade et d'un saut avorté sans doute sous la douleur et la pression de l'esse acéré, montre subrepticement la moitié du dos et un œil humide à cinq mètres du bord. Apparition trop furtive pour définir avec précision et assurance la qualité du condamné. Seule certitude, ce n'est pas du petit fretin.

C'est alors que le travail commence : fatiguer la bête, prendre son temps, ne pas "laisser de mou" tout en lâchant du lest. Le but est de ramener l'espadon au plus près de la berge pour que le moussaillon, le bras prolongé de sa puissante épuisette puisse l'intercepter avant qu'il ne se décroche (hantise de tout pêcheur en de telles circonstances). Etonnamment en quelques minutes l'affaire semble prendre  une  tournure favorable; l'aide de camp qui s'est laissé glisser gracieusement (il faut le préciser) au bord du fleuve (une déclivité non négligeable l'y oblige) voit le mérou à l'orée de son haveneau, il allonge le bras,  encore une demi-coudée, glisse son filet sous la carpe toujours invisible mais qui, tout à coup, est prise d'un énorme soubresaut. Et là, le monstre apparaît dans toute sa splendeur à la surprise du capitaine et du sous-fifre, ce n'est pas un requin, c'est un cachalot... qui repart de plus belle vers le large !

Emotion ! Un instant tout semble se dérober sous l'œil incrédule des deux comparses. Déjà le général se demande si son filin tiendra le coup et pense une seconde avec réalisme à une issue fatale; mais rapidement, c'est un gagneur, il oublie volontairement une telle éventualité et redouble d'adresse; reprendre et recommencer l'ouvrage ne lui fait pas peur. Le deuxième classe, un instant interloqué et quelque peu ridicule avec son semblant d'épuisette dont la gueule ne mesure même pas le huitième du saurien, subjugué par le courage de son lieutenant-colonel, avise et tire un nouveau plan; treillis à terre, il crapahute, casque à la jugulaire et rejoint le haut de la colline. Il faut absolument ramener le soldat Ryan. Tactique et technique allant de pair, on réfléchit, on se concerte, on décide : le maréchal (des logis, chef!) fera glisser la baleine à l'entrée du ruisselet où une légère déclinaison permettra au caporal (pas chef du tout) d'appréhender le dinosaure par tous moyens à sa convenance.

Aussitôt dit, aussitôt mise en branle du plan rouge. Notre haleur de la Volga redouble de finesse et de subtilité pour arriver à ses fins; et petit à petit son obstination et son doigté permettent une approche presque en douceur de notre éléphant de mer (qui au passage aura tout de même mis à mal deux chaluts et fait sauter la mine flottante) au plus près du quai d'embarquement numéro quatre. C'est alors que le terre-neuvas de service, les deux genoux à terre (merci Sainte Mère) toujours prêt à se sacrifier pour la bonne cause put, de sa main nue, agripper le serpent de mer par les ouïes et ainsi avec l'aide du conducteur de tractopelle assurer ses arrières par une mise hors d'eau du trublion.

In situ, l'Yves et l'André complètement  émoustillés par cet exploit que certaines annales reprendront, s'autorisèrent enfin à contempler le résultat de leur haut fait. Un rapide examen ne fit que confirmer ce que dans le feu de l'action ils avaient déjà diagnostiqué:

La prise était belle et valait son pesant d'écailles, un spécimen d'esox lucius dont l'observation et les outils à disposition de nos spécialistes permettront rapidement de donner avec précision taille et  poids. Yves, romain d'origine, extirpa de sa trousse une balance du même nom qui accusa 28 livres bien françaises, quatorze kilos pour ceux qui auraient du mal à absorber la conversion du système métrique. André, spécialiste de l'époque moyenâgeuse, compas dans l'œil, estima la taille à une coudée bien sonnée; un anglo-saxon de passage (c'est une supposition, il n'y en avait heureusement pas dans le coin... quoique, un écho susurra le jour même que le propriétaire du trou d'eau où notre héron posa les pattes et son grand cou une heure plus tôt, appartenait à un perfide d'outre-manche), un anglo-saxon, dis-je, avisé, à la vue honnête aurait estimé ses dimensions à quatre pieds faibles; le système métrique révolutionnaire confirma les appréciations des uns et des autres ; cent vingt centimètres du bout de la queue au museau !

Dernière précision, comme pourrait le faire penser les noms des points de mesures géodésiques et anatomiques (queue et museau) donnés à la fin du récit, il ne s'agissait pas d'un chien de mer, appellation vulgaire désignant de nombreux squales, mais bien, comme déjà dit, d'un esox lucius  ou brochet.

 -photo droite -                                    - photo gauche -

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Et la presse en parla : Ouest-France

Mais déjà un voile sombre prend le pas sur une clarté devenue diffuse; l'heure de la veillée à déjà sonné dans les chaumières...

Comme le temps passe, malgré tout agréablement; cette journée pluvieuse et tempétueuse m'aura donné l'opportunité de m'embarquer (une barque ! Voilà l'accessoire manquant en cette histoire) sur ce compte-rendu épique.

Bonne soirée et bon appétit.

 

Aphrodite et Léda réunies...    les Editions du Cygne.                     

Et après la bataille

"Sport Extrême"